![]() Lorsque l’on repense à Matrix, l’œuvre dystopique cyberpunk des Wachowski, on constate qu’il dépasse largement le cadre de la science-fiction pour se muer en une véritable réflexion sur notre époque. Certains y ont vu une allusion aux complotismes quand d’autres font le rapprochement avec l’Allégorie de la caverne de Platon. La vérité est ailleurs. Le film nous plonge dans un univers où la réalité est construite par d’incroyables flux de données. Il n’est pas avare d’effets cinématographiques plus ou moins novateurs mais très impactants (générique avec sa pluie de chiffres, dédoublement de l’agent Smith, silver bullet…).
Dans cet univers, la perspective dataïste – la croyance que les datas constituent désormais l’essence même de la réalité – se trouve incarnée par des machines impitoyables. Ces dernières représentent la force invisible de la modernité, rappelant que chaque interaction sur les réseaux sociaux et recours à un objet connecté contribuent à alimenter un système qui, tout en nous semblant nous offrir de la liberté, contrôle en fait subtilement nos comportements. Ce paradoxe, où le digital apparaît à la fois comme outil d’émancipation et asservissement, trouve un écho surprenant dans des débats actuels sur la manipulation de nos choix et la marchandisation de notre intimité. Le film date pourtant de plus d’un quart de siècle. L’angoisse de perdre notre autonomie n’a fait que s’intensifier : nous sommes, aujourd’hui, confrontés à l’omniprésence des algorithmes qui orientent nos vies et altèrent notre libre-arbitre.. À l'image du choix symbolisé par la pilule rouge ou bleue, il nous appartient de nous déconnecter mais le faire est « douloureux » tant le virtuel nous rassure. Le smartphone, prolongement de nous-mêmes, matérialise ce nouvel attachement aux algorithmes et notre addiction au virtuel. Dans ce contexte, nous oscillons constamment entre la promesse d’une connexion universelle et la menace d’une aliénation continue, perdant peu à peu le contrôle sur la narration de notre propre existence. Matrix raconte avant tout cette prise de conscience de soi-même (même si les Wachowski admettent désormais avoir couplé ce sous-texte à une perspective personnelle liée à leur coming-out, sujet connecté directement à cette idée de révélation de soi dans un monde factice). Au-delà de son impact visuel, le film reste une véritable invitation à questionner notre époque et le concept de vérité.
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AuthorDocteur en sciences de l'information et de la comunication, Laurent Darmon est le Directeur de l'Innovation de l'une des dix premières banques du monde Archives
Juin 2025
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